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« Les Narcotrafiquants » : enquête sur la drogue, arme de destruction massive

Ce pourrait être la chronique d’un secteur économique en plein essor. Un marché où la production n’a jamais été aussi forte, proposant une offre sans cesse renouvelée, distribuée au moyen de la logistique la plus efficiente, vers un public toujours plus vaste, avide de nouveautés. Un public captif à en mourir.
Cette même histoire est aussi celle d’un fléau sanitaire mondial, à l’ampleur comparable à une pandémie hors de contrôle. Les constatations statistiques ne peuvent donner qu’une vision impressionniste de ce phénomène globalisé : multiplication des hospitalisations pour surdose, des complications de santé mentale liées à l’usage de stupéfiants ; paupérisation des quartiers gangrenés par le deal ; explosion des homicides en lien avec les trafics…
Derrière ce marché illicite, estimé à plus de 3,5 milliards d’euros annuels en France, opèrent des groupes criminels si riches et puissants qu’ils sont capables de déstabiliser des Etats. L’alarme est lancée sur chaque continent. La méthamphétamine (« ice ») dans les îles du Pacifique, le fentanyl aux Etats-Unis, la cocaïne en Europe, le captagon au Proche-Orient… La France, pays de transit et de consommation « multiproduits », est désormais au cœur des stratégies des cartels.
Les dernières études publiées par l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives soulignent la hausse rapide de la consommation de sub­stances stimulantes. Les taux d’expérimentation ont presque doublé, entre 2017 et 2023, pour la kétamine ou la MDMA, par exemple. Quant à la cocaïne, le pourcentage d’usagers a été multiplié par huit entre 2000 et 2023.
Le profil des consommateurs s’élargit, pour la majorité des substances analysées, vers « M. ou Mme Tout-le-Monde », de l’avis des addictologues. Le développement d’une offre numérique, digne des meilleures « applis » du commerce légal, facilite l’accès à ces drogues pour un public plus large, n’ayant plus besoin de quitter son domicile pour recevoir sa dose.
Pourtant, l’impact de l’emprise territoriale est plus visible que jamais. Les trafiquants rendent la vie impossible dans les quartiers enkystés par les points de deal. Jusqu’à entraîner l’évacuation d’urgence, le 27 septembre, de l’immeuble Le Carrare, à Echirolles (Isère), tombé aux mains des ­dealeurs alors que la ville est secouée depuis plusieurs mois par des règlements de comptes en série.
Face à cet assaut, la réponse sécuritaire brandit la relance de la « guerre » promise dès 1971 par le président américain Richard Nixon – sans grand succès –, quand le constat d’échec gagne aussi certains professionnels. La seule approche coercitive, dans sa version actuelle, ne parvient pas à assécher le marché ni à apaiser les tensions. Le volet sanitaire est tout aussi défaillant. La prévention et la prise en charge médicale peinent à limiter les effets dévastateurs de substances toujours plus puissantes et facilement accessibles.
Raconter l’emprise des drogues nécessite ainsi d’ouvrir la « boîte noire » des « narcos », de comprendre leurs opérations intercontinentales autant que leurs affaires menées au coin de la rue. Sonder les enjeux des réponses, si sensibles, des pouvoirs publics, et interroger aussi comment la drogue est devenue un objet culturel à part entière, inspirant des fictions que l’actualité semble chaque jour capable de dépasser : tel est le sens de ce hors-série du Monde consacré à ce phénomène qui détruit tout sur son passage, gangrène le système international, rançonne les Etats et ronge les sociétés et les individus…
« Les narcotrafiquants », hors-série, 100 pages, 11,50 euros.
Gaïdz Minassian et Thomas Saintourens
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